Raphaël Imbert

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Musical Journey in USA round 2






Days 5-6 "Portrait of Art"

 

Par Raphaël Imbert (textes et photos)

La route. C’est avec plaisir et anxiété que je la reprends, la route. Plaisir de revoir les paysages qui semblent presque familiers, lac Ponchartrain, les marécages du Mississippi, les canopées de l’Alabama. Anxiété face à ses immensités autoroutiaires, autant de souvenirs périlleux et solitaires de mon premier voyage (cf. Musical Journey in USA round 1). Mais je ne suis plus seul, et avec Emmanuel comme compagnon de route, les distances s’amenuisent. Après une halte à Montgomery et un pèlerinage sur les traces de Booker T. Washington, George W. Carver et Ralph Ellison à l’université de Tuskegee (où l’archiviste Dana Chandler nous réservera un accueil très chaleureux et quelques belles surprises, à voir notamment dans le prochain numéro de Volume !), c’est presque en habitués que nous arrivons à Athens, Géorgie, chez Art et Margo Rosenbaum. Il est délicat de dire de telle ou telle rencontre de l’année dernière qu’elle a été la plus marquante - elles l’ont toutes été – mais Art reste un souvenir particulier de mon dernier voyage. C’est Philippe Langlois du label Dixiefrog qui m’avait conseillé de le voir, autant pour la dimension ethnomusicologique de son travail de prospection que pour sa pratique diversifiée de la musique traditionnelle populaire américaine. Très rapidement, les présentations d’usages s’étaient transformées en émulations réciproques, et c’est donc en amis qu’Art, Margo (et Skeeper, leur roquet belge, bien que peu avenant au départ) nous accueillent dans leur maison verdoyante. Art Rosenbaum est un personnage. Artiste peintre, parlant un français délicieux depuis son séjour à Paris en 1963, il s’est pris de passion pour le vaste domaine de la musique populaire depuis le boom folk des années soixante, ayant connu de près cette révolution culturelle. C’est donc avec plaisir qu’il s’installe à Athens en 1976, nommé professeur des Beaux-Arts, dans cette ville universitaire, au cœur d’un état central de l’histoire musicale américaine, entre montagnes et côtes maritimes, villes futuristes et nostalgie confédérée, hillbillies et blues noir. Ici, il effectuera un travail de Sisyphe, en enregistrant des centaines de documents démontrant la grande perméabilité des cultures noires et blanches dans un état pourtant encore marqué par la ségrégation. Dans ce « Georgia of my mind », musiciens noirs et blancs partagent depuis longtemps instruments, répertoires et amitiés.

Le travail d’Art (« Art is my name, and Art is my work ! ») est considérable, il balaye les malentendus et les clichés sur la musique américaine et ses présupposés ethnomusicologiques, tout en redéfinissant les particularités de chaque style qui, en tant que style justement, repose sur une différenciation esthétique qui ne justifie pourtant aucun anathème d’un style envers l’autre. Le travail d’Art démontre simplement que tout combat contre l’essentialisme stylistique ethnocentré (le blues est pur quand il est noir, la country quand elle est blanche) ne peut que reposer sur une juste compréhension de ce qui définit chaque phénomène esthétique en tant que phénomène culturel (le blues est une manifestation de la culture afro-américaine, le Old Time Music de la culture montagnarde celtico-anglo-américaine). Ainsi posé, le postulat humaniste d’un corpus global de la musique de tradition orale populaire comme une entité qui n’imagine l’existence de ces styles qu’en une co-existence commune, consciemment et intelligemment perméable, devient parfaitement pertinent. Ainsi, Art, parallèlement et en complément de son travail de peintre et de pédagogue, n’aura de cesse de chercher à capter le son populaire américain, celui de l’amateur musicien qui, dans le peu de temps libre qui lui reste, préfère chanter plus que toute autre chose, pour une catharsis personnelle et collective qui fonde l’essence de l’Americana. Il n’y a alors plus de frontière stylistique et raciale, et cette nouvelle expérience avec Art nous l’a démontré.

À Lavonia, au cœur du piedmont géorgien, les ancêtres du Old Time réunis autour d’Art et d’Ed Teague (cf. le billet d’Emmanuel Parent) répondaient à ma présence par quelques jazz tunes de leur jeunesse qui les éloignaient quelque temps des montagnes appalachiennes.

La bague maçonnique de Roy, le violoniste de 88 ans, me rappelait en écho à mes recherches sur le spirituel dans le jazz : on peut être un authentique old timer ( et vétéran du « D Day ») sans être pour autant un « plouc », en appartenant à un ordre fraternel élitiste, comme d’ailleurs de très nombreuses stars de la country music, parallèlement aux très nombreux « frères » du jazz noir américain (cf mon étude à ce sujet). Le soir même, lors d’une jam session bluegrass et old time endiablée chez Art, en présence de talentueux musiciens de la scène athénienne, nous nous sommes retrouvé Emmanuel et moi-même dans la situation de l’observé, en chantant (Emmanuel bien plus efficacement que moi) des chansons françaises de nos régions à la demande de nos hôtes. Ici, un conservatisme de façade pour l’acoustique et l’authentique fait place à un progressisme de l’idée même d’un chant du monde en partage. Art nous rendra la pareille en interprétant une version émouvante d’une ancienne chanson francophone, « Le Juif Errant ». Le lendemain, Art nous invite à un lunch entre folkloristes, dont un monomaniaque du sacred harp (technique d’apprentissage du chant liturgique par symbole) et de la chanson John Henry (« j’en suis au 17ème chapitre de mon livre sur John Henry, il m’en reste 4 à finir »). La curiosité comme mode de conservation, voilà une définition qui convient au travail d’Art Rosenbaum. Ainsi pourquoi possède-t-il des dizaines de banjos ? Par accumulation, non par collection, dit-il. Après avoir trouvé dans un livre ancien la référence à une chanson afro-américaine parlant d’un « seven-string banjo », il se prend de passion pour un instrument dont il ne connaissait pas l’existence, pour finalement en trouver de nombreux exemplaires, parfois anciens.

Mais d’ailleurs, et c’est la un aspect particulièrement sensible en ce qui me concerne, Art ne pourrait être un simple collectionneur, ni un collecteur, puisqu’il joue la musique. Parfois même accompagne-t-il les musiciens qu’il enregistre, comme il l’avait fait l’année dernière avec l’immense Earl Murphy et moi-même. Ainsi, pour Art, peintre et musicien, le collectage n’est pas qu’un geste de conservation, mais peut être aussi un acte de création à part entière.

Plus tard dans la soirée, Art nous propose un cordial. Il me verse dans un petit verre un calvados délicieux, boisson qu’il avoue apprécier (avec modération !) au grand dam de Margot. Il me demande de regarder le verre d’un peu plus près. Je lis sur le verre : Earl Murphy 1917-2011. Il a disparu à peine deux semaines avant mon arrivée aux USA. Ils ont organisé une énorme fête en son honneur juste avant que nous arrivions à Athens, occasion pour ses proches d’éditer ce verre en hommage à ce « bon vivant ». J’aurai sans doute eu l’impression, après Slewfoot, d’avoir raté quelque chose, si Art ne m’avait pas dit : « garde-le ce verre, il est pour toi ».



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Musicien autodidacte né en 1974, Raphaël Imbert poursuit un chemin atypique (...)

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